L’utilisation des antipsychotiques dans le trouble bipolaire remonte aux années 1960, principalement en phase aiguë, par rapport au placebo (Klein et Oaks 1967) et au lithium, dans la manie aiguë (Prien et al. 1972), ainsi que dans la psychose fonctionnelle (Johnstone et al. 1988). L’essai de Prien et al. a révélé une efficacité comparable à celle du lithium dans la manie aiguë, et le dernier essai a révélé des effets significatifs du pimozide, mais pas du lithium, sur les symptômes psychotiques, dans la psychose indifférenciée. L’efficacité des antipsychotiques dans la manie aiguë est claire, les données méta-analytiques suggérant une plus grande efficacité de l’halopéridol que du lithium (SMD 0,19), avec une hétérogénéité entre les composés, les antagonistes dopaminergiques prédominants comme l’halopéridol ayant la plus grande efficacité (Cipriani et al. 2011).
La plus ancienne étude observationnelle des antipsychotiques pour le traitement d’entretien semble être l’utilisation de la clozapine chez des personnes fréquentant un service pour troubles de l’humeur résistants (Zarate et al. 1995). Un avantage des antipsychotiques de deuxième génération (SGA) était leur moindre propension à provoquer des troubles du mouvement, par rapport aux antipsychotiques de première génération (FGA), une méta-analyse de 2017 montrant une différence statistiquement significative de dyskinésie tardive entre les classes (environ 20 % contre 30 %), avec une prévalence plus faible chez les sujets naïfs de FGA (environ 7 %) (Carbon et al. 2017). D’autres effets secondaires, tels que les effets métaboliques, sont plus fréquents avec les SGA (voir ci-dessous). Une revue systématique et une méta-analyse de 2017 sur les SGA dans le traitement d’entretien de la BD ont inclus 15 ECR, d’une durée de 6 mois à 2 ans, et une étude observationnelle d’une durée de 4 ans (Lindström et al. 2017). Celle-ci a examiné la monothérapie et le traitement d’appoint au lithium, au valproate de sodium ou à la lamotrigine. Les antipsychotiques examinés comprenaient l’olanzapine (4 essais), la quétiapine (4 essais), l’aripiprazole (3 essais), la rispéridone (3 essais) et la ziprasidone (1 essai). Les méta-analyses ont montré que la monothérapie antipsychotique était supérieure au placebo pour réduire le risque global de rechute (olanzapine : RR 0,52 (IC 95 % 0,38-0,71), 2 études ; quétiapine : HR 0,37 IC 95 % 0,31-0,45), 2 études ; rispéridone : RR 0,61 (IC 95 % 0,47-0,80), 2 études), bien que la qualité des études, selon le système GRADE, soit très faible. En tant qu’adjuvant aux stabilisateurs de l’humeur conventionnels (lithium/valproate/lamotrigine), lorsqu’il est administré à des personnes ayant répondu à un traitement aigu, l’aripiprazole a eu un effet bénéfique (RR 0.65, IC 95% 0,50-0,85 ; 2 études), l’olanzapine (RR = 0,49, IC 95% 0,27-0,91 ; une étude), la quétiapine (RR 0,38, IC 95% 0,32-0,46 ; 2 études) et la ziprasidone (RR 0,62, IC 95% 0,40-0,96 ; 1 étude). Un essai avec la rispéridone en injection à action prolongée (LAI) chez des personnes souffrant de trouble bipolaire 1 et ayant eu 4 épisodes ou plus au cours de l’année précédente, n’a pas été statistiquement significatif dans la méta-analyse pour la rechute vers la manie ou la dépression, mais a montré un bénéfice dans un suivi de 52 semaines par rapport au placebo en tant qu’ajout au traitement habituel, avec une diminution de 2,3 fois le risque de rechute vers un épisode de l’humeur (Macfadden et al. 2009). Le traitement d’appoint par la quétiapine était le seul médicament qui réduisait à la fois les épisodes maniaques (RR 0,39, IC 95 % 0,30-0,52 ; 2 études) et dépressifs (RR 0,38, IC 95 % 0,29-0,49 ; 2 études). Toutes les études sauf une avaient une conception enrichie, c’est-à-dire que les patients prenaient le médicament avant la randomisation, ce qui constitue essentiellement une forme de biais de sélection. Deux des ECR comprenaient des personnes atteintes de trouble bipolaire 2 (tableau 1).
Les taux d’abandon en tant qu’adjuvant variaient d’un rapport de risque de 0,66 (ziprasidone) à 0.89 (aripiprazole), avec un gain de poids (défini comme une augmentation de > 7%) noté lors de la méta-analyse de tous les antipsychotiques.
Un antipsychotique non examiné dans cette revue était la lurasidone, qui a une licence de la FDA en tant que monothérapie et traitement d’appoint au lithium et au divalproex pour le traitement aigu de la dépression bipolaire, et l’asénapine, qui a récemment été examinée dans un essai de maintien. Après un ECR de 6 semaines en double aveugle contrôlé par placebo sur la lurasidone en monothérapie ou en traitement d’appoint au lithium ou au divalproex, les participants ont été randomisés pour un essai prolongé de 6 mois sur la lurasidone en monothérapie ou en traitement d’appoint. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un résultat primaire, une manie apparue au cours du traitement est survenue dans 1,3 % des cas dans le groupe monothérapie et dans 3,8 % des cas dans le groupe adjuvant. Parmi les répondeurs de base de l’étude d’extension, 10,2 % ont répondu aux critères post hoc de rechute de la dépression au cours des 6 mois de traitement dans le groupe monothérapie, 10,2 % répondant aux critères de rechute dans le groupe thérapie adjointe. La nature de l’essai rend difficile la comparaison de la rechute de la dépression et de la manie avec d’autres traitements, bien que la faible incidence de la rechute maniaque doive être notée (Ketter et al. 2016). Un essai récent de 26 semaines en double aveugle contrôlé par placebo sur le traitement d’entretien par l’asénapine chez 253 personnes atteintes de troubles bipolaires a révélé un temps statistiquement plus long avant la récurrence de tout épisode d’humeur (maniaque ou dépressif), HR = 0,16 pour l’épisode maniaque, HR = 0.35 pour l’épisode dépressif, mais pas pour les épisodes mixtes (bien que l’étude puisse avoir été sous-puissante, ces analyses étant post hoc) (Szegedi et al. 2018).
À cette littérature, il convient d’ajouter les ECR d’injections à action prolongée (IAL). Un essai randomisé contrôlé par placebo de 52 semaines sur le dépôt d’aripiprazole a montré un effet bénéfique dans la maladie bipolaire 1, avec un rapport de risque de 0,45 dans la récurrence de tout épisode d’humeur, observé principalement avec les épisodes maniaques, reflétant les preuves pour l’aripiprazole oral (Calabrese et al. 2017). Une efficacité similaire est également observée pour la rispéridone LAI, par rapport au placebo, dans deux essais, d’une durée de 18 et 24 mois (Quiroz et al. 2010 ; Vieta et al. 2012), dans la prévention des rechutes, avec un rapport de risque combiné de 0,42 pour les symptômes maniaques, hypomaniaques ou mixtes, mais pas pour les rechutes de dépression. Une revue résumant trois essais de LAI par rapport aux antipsychotiques oraux n’a trouvé aucune différence dans les taux de rechute, bien que l’analyse de sensibilité ait montré un bénéfice chez les personnes ayant une maladie à cycle rapide (Kishi et al. 2016).
Le premier essai comparant l’efficacité de la monothérapie antipsychotique au lithium pour la prévention des rechutes dans la BD a examiné l’olanzapine par rapport au lithium pour la rechute vers n’importe quel épisode d’humeur. Cette étude comprenait un co-traitement ouvert pendant 6 à 12 semaines, une diminution progressive en double aveugle sur 4 semaines et une monothérapie en double aveugle pendant 48 semaines. L’étude n’a révélé aucune infériorité de l’olanzapine pour le résultat primaire, à savoir l’hospitalisation pour un épisode de l’humeur (Tohen et al. 2005). Une méta-analyse de 2014, par Miura et al, a réalisé des méta-analyses par paires et en réseau examinant l’efficacité et la tolérance des traitements pour la phase d’entretien de la BD. La méta-analyse en réseau tient compte des problèmes rencontrés dans les méta-analyses conventionnelles, où les comparaisons par paires sont effectuées, et permet la comparaison entre différentes interventions, étant donné qu’il existe un comparateur commun au sein du réseau. 33 essais ont été inclus dans l’analyse de réseau, examinant 17 composés/combinaisons. Les antipsychotiques examinés étaient l’aripiprazole, l’olanzapine, la palipéridone, la quétiapine et la rispéridone LAI. Elle a révélé que toutes les interventions étaient plus efficaces que le placebo pour prévenir les rechutes, à l’exception de l’aripiprazole, de la carbamazépine, de l’imipramine et de la palipéridone. Il convient de noter que les études plus récentes sur l’aripiprazole n’ont pas été incluses. Seuls le lithium et la quétiapine se sont révélés plus efficaces que le placebo pour prévenir les rechutes dépressives. La qualité des preuves était variable, la meilleure preuve existant pour le lithium, en plus d’autres résultats (par exemple, le fonctionnement social). Cela a conduit les auteurs à conclure que le lithium devrait rester la thérapie de premier choix pour le traitement d’entretien (Miura et al. 2014). Ce qui est frappant dans cette méta-analyse du traitement d’entretien, c’est le degré de similitude de l’effet avec celui observé dans les essais de traitement aigu – un point soulevé par Taylor, qui a trouvé une association étroite entre les meilleures estimations de l’effet par rapport au placebo sur la prévention des rechutes et les taux de réponse pour les épisodes aigus rapportés dans d’autres méta-analyses de réseau (corrélation pour les épisodes maniaques ou mixtes, r = – 0,91, p = 0,01) et une tendance similaire pour les épisodes dépressifs (r = – 0,79, p = 0,06) (Taylor 2014). Cela suggère un effet réel, par opposition à un artefact statistique, et suggère également que les traitements qui sont efficaces en phase aiguë peuvent être efficaces en prophylaxie. Cela a été récemment confirmé par une méta-analyse du même auteur, montrant que le lithium avait des effets aigus sur la rechute vers la manie, dans les 4 semaines (Taylor 2018).
Compte tenu des preuves existantes pour la lamotrigine, autorisée aux États-Unis et dans l’UE pour la prévention de la rechute de la dépression chez les personnes atteintes de maladie bipolaire 1 avec des épisodes dépressifs prédominants (Goodwin et al. 2004), il est intéressant de comparer son efficacité aux antipsychotiques – en particulier pour la BD après un épisode dépressif. La méta-analyse en réseau de Miura (ci-dessus) (Miura et al. 2014) a donné une taille d’effet pour la lamotrigine de 0,69 (IC 95 % 0,5-0,94) pour l’épisode dépressif, la rechute ou la récidive. Les valeurs comparatives pour les antipsychotiques étaient les suivantes : olanzapine 0,8 (IC 95 % 0,57-1,12), quétiapine 0,48 (IC 95 % 0,34-0,67), rispéridone LAI 1,32 (IC 95 % 0,84-2,09), et 0,76 (IC 95 % 0,61-0,93) pour le lithium. Au niveau pragmatique, la lamotrigine est couramment ajoutée à d’autres traitements d’entretien, y compris les antipsychotiques, et une contribution importante à la littérature est l’essai CEQUEL (Geddes et al. 2016). Cet ECR en double aveugle contrôlé par placebo a inscrit des personnes présentant un nouvel épisode dépressif à la lamotrigine ou au placebo, constatant une réduction des symptômes de dépression (mesurés par le Quick Inventory of Depressive symptomatology-self report (QIDS-SR) à 12 semaines et 52 semaines (cette dernière étant statistiquement significative, – 2,69, IC 95 % – 4,89 à – 0,49] ; p = 0.017), l’amélioration étant plus importante chez ceux qui ne recevaient pas d’acide folique.
Le seul essai d’entretien des antipsychotiques dans la manie post-premier épisode a recruté 61 personnes atteintes d’un premier épisode de psychose maniaque dont les symptômes avaient répondu à la quétiapine et au lithium et les a randomisées entre la quétiapine (dose moyenne de 437,5 mg) et le lithium (niveau moyen de 0,6 mM). En utilisant un modèle mixte à mesures répétées, ils ont constaté que le lithium était supérieur à la quétiapine sur les mesures cliniques (Young Mania Rating Scale (YMRS), Brief Psychiatric Rating Scale (BPRS), impression globale clinique) et le fonctionnement (Berk et al. 2017 ; Geddes et al. 2016).
Dans un effort pour combiner les connaissances sur l’efficacité des médicaments dans le traitement d’entretien avec le tableau clinique de la BD, Popovic et al. (2012) ont analysé les essais de plus de 24 semaines, en attribuant un indice de polarité, donnant une valeur numérique aux effets prophylactiques par rapport à la dépression (< 1) et à la manie (> 1). Les exemples incluent 4,38 pour l’aripiprazole et 0,4 pour la lamotrigine. Cela est intuitivement séduisant, bien que pour des composés d’efficacité équivalente (par exemple, le lithium, 1,39 et la quétiapine, 1,14), l’interprétation puisse être plus difficile.
Pour l’efficacité, une récente étude de registre national (finlandais) a examiné la réhospitalisation des personnes atteintes de troubles bipolaires, pendant une moyenne d’environ 7 ans. Elle a révélé que la rispéridone LAI (HR, 0,58 ), la gabapentine (HR, 0,58 ), la perphénazine en injection à action prolongée (HR, 0,60 ) et le carbonate de lithium (HR, 0,67 ) étaient associés au plus faible risque de réhospitalisation psychiatrique. Les auteurs ont reconnu la présence possible de facteurs de confusion, mais ont ajusté la variabilité individuelle en utilisant chaque patient comme son propre contrôle (Lähteenvuo et al. 2018 ; Popovic et al. 2012 ; Berk et al. 2017). L’utilisation suggérée des LAI est intéressante, étant donné le degré de non-observance des médicaments observé dans les BD (20-66%) (Lingam et Scott 2002), bien que la littérature des ECR sur la schizophrénie ne montre aucune différence dans les taux de rechute par rapport aux médicaments oraux (Kishimoto et al. 2014).
La supériorité du lithium a été reprise dans une étude naturaliste utilisant une base de données de soins primaires britannique d’environ 500 personnes atteintes de BD, où les auteurs ont examiné l’utilisation de l’olanzapine, de la quétiapine, du lithium et du valproate de sodium en monothérapie. Ils ont examiné l’échec du traitement, défini comme l’ajout d’un autre médicament psychotrope ou l’arrêt du traitement, et ont constaté que le temps le plus long avant l’échec était celui du lithium, soit 2,05 ans (IC à 95 % : 1,63-2,51), contre 0,76 an (IC à 95 % : 0,64-0,84) pour la quétiapine, 0,98 an (IC à 95 % : 0,84-1,18) pour le valproate et 1,13 an pour l’olanzapine (IC à 95 % : 1,00-1,31) (Hayes et al. 2016). Les auteurs ont pu contrôler un certain nombre de facteurs de confusion, bien qu’ils n’aient pas pu tenir compte des effets des épisodes maniaques ou dépressifs.