BAGHDAD
i. La connexion iranienne : Avant l’invasion mongole
Bagdad, dont le nom officiel était à l’origine Madīnat-al-Salām, la ville de la paix, fut fondée en 145/762 par le deuxième calife ʿAbbaside, Abū Jaʿfar al-Manṣūr comme sa capitale officielle. De cette époque jusqu’au sac de la ville en 656/1258 par les Mongols, à l’exception d’une brève période au troisième/neuvième siècle, Bagdad fut la résidence des califes ʿAbbasides. Jusqu’à la fin du quatrième/dixième siècle, elle était le centre le plus important de la culture et des lettres arabes et était presque certainement la plus grande ville du monde musulman. Elle est restée dans l’ensemble une ville arabophone, mais en partie à cause de son statut de métropole, et en partie à cause de sa position géographique, il y avait des éléments persans considérables dans sa population et son environnement urbain.
Bien qu’elle ait été fondée près de l’ancienne capitale sassanide de Ctésiphon, connue des Arabes sous le nom de Madāʾen, dans une région qui avait été sous domination perse au moins depuis le IVe siècle, il ne semble pas y avoir eu de peuplement perse étendu dans le petit village de Bagdad ou dans aucune des petites communautés voisines qui furent plus tard avalées par la grande ville. (Pour la répartition de la population perse dans l’Irak sassanide, voir Morony, pp. 181-213). Bien que le nom de la ville puisse être dérivé de deux mots vieux-persans, bag « dieu » (voir baga iii) et dād « donné », la probabilité est que la plupart des habitants étaient des Nabatéens parlant l’araméen. Les éléments persans sont apparus après la fondation de la ville et ont pris quatre formes principales : influence architecturale sur la conception originale, installation militaire persane dans les premières années de la ville, domination ultérieure par des dynastes d’origine persane, notamment les Buyids, et installation continue de savants et d’intellectuels persans.
La caractéristique la plus importante de l’architecture de la Bagdad primitive était la célèbre ville ronde, dont les murs entouraient la résidence officielle du calife et la première grande mosquée. Bien qu’il soit impossible de citer une influence directe, un certain nombre d’exemples de villes rondes de la Perse préislamique ont pu servir d’inspiration. Ctésiphon était entourée de remparts ovales, bien que cela ait pu refléter la croissance naturelle de la ville plutôt qu’une planification délibérée. Des parallèles plus clairs peuvent être trouvés dans les villes rondes sassanides de Dārābgerd et Fīrūzābād, qui, comme Bagdad, avaient quatre portes principales, à Fārs, et dans le très frappant centre rituel parthe et sassanide de Taḵt-e Solaymān en Média.
L’influence perse semble également avoir été évidente dans les techniques de construction, bien que nous soyons dépendants des sources littéraires pour nos informations, car aucune des structures originales ne survit. La grande mosquée a été construite avec des murs en briques et une salle de prière hypostyle avec des colonnes en bois supportant un toit plat, ce qui en fait l’héritière d’une tradition architecturale iranienne qui remontait à la grande apadāna achéménide de Persépolis. Le palais du calife s’enorgueillissait d’un ayvān typiquement persan, avec une chambre à dôme immédiatement derrière ; l’ayvān peut être rattaché au palais sassanide voisin de Ctésiphon, tandis que les palais de Fīrūzābād et de Sarvestān, également de date sassanide, présentaient la combinaison de l’ayvān et de la chambre à dôme. Les matériaux de construction, d’autre part (brique parfois renforcée par des roseaux) devaient naturellement plus à la tradition et aux ressources mésopotamiennes qu’au modèle iranien de construction en maçonnerie de moellons.
Le peuplement de la nouvelle ville était le reflet des raisons de sa fondation. Les habitants peuvent être divisés en deux groupes, les militaires installés par le calife et ceux qui ont afflué vers la nouvelle ville pour profiter des opportunités économiques offertes. Bien que de nombreux chefs de l’armée ʿAbbaside étaient, ou du moins prétendaient être, d’origine arabe, il est clair que la plupart des soldats de rang étaient d’origine perse. Il y avait aussi un certain nombre de familles de notables iraniens, les Barmakides de Balḵ par exemple, et la famille Sulid, descendants des princes indigènes de Gorgān. Ces groupes militaires étaient installés dans certaines zones définies de la ville, principalement dans le quartier situé au nord-ouest de la ville ronde qui fut connu sous le nom de Ḥarbīya et les noms des différents groupes nous donnent une idée claire de leurs origines géographiques. Comme on pouvait s’y attendre, la grande majorité d’entre eux venaient du Khorasan et de la Transoxanie, où les armées ʿAbbasides avaient été recrutées, plutôt que de l’ouest de l’Iran ou de l’Azerbaïdjan. Nous trouvons de nombreux individus d’origine perse qui se sont vu attribuer des parcelles de terre pour eux-mêmes et leurs partisans, mais aussi des zones données à des personnes de différents districts ; la Marvrūdīya (de Marvrūd) dans la ville ronde elle-même, un faubourg (rabaż) des Perses (Fors, ce qui peut impliquer des gens de Fārs, plutôt que des Perses en général), un faubourg des Khwarezmians, et une mosquée des gens de Boukhara, tous dans la Ḥarbīya. Une deuxième vague de colons militaires perses survient en 151/768 lorsque le futur calife al-Mahdī, alors héritier présomptif, vient de Ray, où il était basé depuis dix ans en tant que gouverneur du Khorasan, et établit une nouvelle ville sur la rive orientale du Tigre. C’est dans ces quartiers orientaux que les Barmakides acquirent leurs principales propriétés.
Les enfants des familles de ces colons persans prirent le nom d’abnāʾ, dont on dit qu’il était l’abréviation d’abnāʾ al-dawla (fils de l’État) mais aussi un écho du titre d’abnāʾ pris par les Perses du Yémen qui avaient reconnu l’autorité de Moḥammad aux premiers temps de l’islam. Ils proclamaient ainsi à la fois leur loyauté envers la dynastie et leur identité persane, et, au moins jusqu’à la guerre civile qui suivit la mort de Hārūn al-Rašīd en 193/809, ils conservèrent des liens étroits avec leur patrie.
Ces colons persans étaient probablement largement dépassés par les colons du second groupe, les Arabes et les Nabatéens locaux du Sawād de Kūfa. Ainsi, malgré le fort élément perse dans la population, l’arabe était la langue vernaculaire de la ville et il semble qu’au début du IIIe/9e siècle, cinquante ans après sa fondation, ces Perses s’étaient complètement acculturés et avaient perdu tout lien avec leur pays d’origine.
L’année 204/819 vit l’entrée d’al-Maʾmūn, et de ses partisans khorasani à Bagdad et une fois de plus, il y eut un afflux de soldats et d’administrateurs perses à Bagdad, mais son effet sur la ville fut de courte durée. Le principal conseiller d’Al-Maʾmūn avait été Fażl b. Sahl, un Persan d’origine irakienne dont le but ouvertement exprimé avait été de restaurer l’influence des propriétaires terriens persans (dehqāns) et de faire des califes ʿAbbasides les véritables héritiers de la tradition sassanide ; mais il fut assassiné en 202/818, et lorsque al-Maʾmūn parvint effectivement à Bagdad, il fut obligé de faire des compromis avec la population locale qui laissèrent le caractère arabe de la ville pratiquement intact.
Le caractère essentiellement arabe de Bagdad fut préservé en partie grâce au déplacement de la cour califale à Samarrāʾ sous le règne du calife al-Moʿtaṣem (218-227/833-842), car les nouveaux établissements administratifs et militaires, dans lesquels les éléments persans étaient prononcés, étaient basés dans la nouvelle ville. Bagdad était effectivement gouvernée par une branche de la famille Taherid, mais ils ne semblent pas avoir favorisé l’influence perse dans la ville.
Il y eut cependant un autre développement à cette époque qui conduisit à une nouvelle vague de colons perses d’un genre très différent. L’étude de la tradition musulmane (ḥadīṯ), avait été établie à Bagdad au début de l’époque ʿAbbaside, mais elle reçut un nouvel élan par l’opposition de nombreux Bagdadis au gouvernement d’al-Maʾmūn et d’al-Moʿtaṣem et à la doctrine muʿtazilite qu’ils épousaient. Ils exprimèrent leur opposition par un engagement ferme envers les traditions du Prophète dont l’étude devint la plus importante des sciences religieuses : Cela signifiait que les savants de Perse qui souhaitaient acquérir une expertise dans ce domaine affluaient à Bagdad. Cette tendance était renforcée par le fait que Bagdad se trouvait sur la route du ḥajj (pèlerinage) de l’Iran vers La Mecque et Médine. Ainsi, de nombreuses personnalités religieuses passaient par la ville et beaucoup y restaient pour devenir des résidents permanents. Pour cette raison, les Perses en sont venus à former un élément beaucoup plus important au sein du clergé (ʿolamāʾ ) de Bagdad que les Syriens, les Égyptiens ou les Nord-Africains. Un exemple intéressant de la façon dont cela fonctionnait en pratique peut être vu dans la carrière de l’historien et traditionniste Ṭabarī (d. 310/923). Originaire, comme son nom l’indique, de Ṭabarestān dans le nord de l’Iran, il vint à Bagdad à la recherche de traditions et finit par s’y installer définitivement. Il continua à être soutenu par les revenus des domaines familiaux de Ṭabarestān qui lui étaient apportés par les pèlerins de sa province natale passant par la ville. De cette façon, lui et de nombreux autres Perses ont contribué non seulement à la vie intellectuelle de la ville, mais aussi à sa survie économique. Ils n’ont cependant pas importé la culture perse à Bagdad : ils étaient venus s’immerger dans l’apprentissage islamique dont la langue était l’arabe, et ils semblent avoir adopté la langue et les coutumes de leur foyer d’adoption.
Le retour du califat à Bagdad en 278/892 a entraîné une nouvelle campagne de construction, cette fois largement limitée à la rive orientale du Tigre, où les palais des califes et des chefs militaires du quartier de Moḵarram, sont venus former le noyau du Bagdad moderne. Il semble probable que la cour ʿAbbaside de cette période ait été fortement influencée par les idées persanes de la splendeur royale, et de cette période nous avons des récits de cérémonial de cour élaboré, de vastes et opulents palais et d’oiseaux d’or chantant dans des arbres d’argent qui étaient étrangers aux premiers styles islamiques de monarchie. Le fait que l’influence persane ait joué un rôle est suggéré par le fait que le calife al-Moʿtażed (279-89/892-902) a donné à deux de ses nouveaux palais les noms typiquement persans de Ferdows (paradis) et Tāj (couronne), mais nous n’avons pas de descriptions suffisamment détaillées de l’architecture ni de preuves archéologiques pour montrer jusqu’où s’étendait cette influence persane.
L’influence persane s’est considérablement accrue sous le règne des Buyides. Ils étaient eux-mêmes d’origine perse, originaires de Deylam sur les rives sud-ouest de la mer Caspienne. Ils adoptèrent de nombreux styles de la monarchie sassanide, notamment l’utilisation du titre šāhanšāh en même temps que leur titulature musulmane. Ils étaient également shiʿites et certains d’entre eux fréquentaient certainement les sanctuaires shiʿites de la ville ; mais les grands mouvements de pèlerins perses vers les sanctuaires shiʿites d’Irak, qui ont conduit à une si grande influence perse dans la région, n’ont commencé que bien plus tard. Cela s’explique en partie par le fait que le shiʿisme n’est pas devenu la foi établie de la Perse avant l’époque safavide, mais en partie aussi par le fait que le principal sanctuaire shiʿite de Bagdad, à Kāẓemayn, l’ancien cimetière des Qorayš, était vénéré autant par les sunnites que par les shiʿites à cette époque.
Le premier souverain buyid de Bagdad, Moʿezz-al-Dawla Aḥmad (334-56/945-67), s’appuie sur des soldats turcs et des bureaucrates recrutés localement, même s’il emploie des ouvriers d’Ahvāz et d’Ispahan pour son nouveau palais. Le chaos qui s’ensuit sous le règne de son fils ʿEzz-al-Dīn Baḵtīār, conduit à la conquête de l’Irak par le plus grand des Buyids, Ażod-al-Dawla en 367/978. Le pouvoir politique d’Ażod-al-Dawla était basé à Fārs, l’ancienne patrie sassanide, et il en fit venir des bureaucrates, certains portant des noms iraniens anciens comme Sābūr (Šāpūr) b. Ardašīr, qui fonda un important établissement d’enseignement dans la ville ; il importa même des plantes de Fārs pour faire revivre les jardins en ruine de Bagdad. Il dépensa sans compter pour construire, surtout des palais, mais aussi son célèbre hôpital (bīmārestān, le mot persan est utilisé), le ʿAżodīya. Cela a établi un modèle pour le mécénat persan des institutions charitables qui s’est poursuivi sous les Saljuqs. Les activités d’Ażod-al-Dawla prirent fin prématurément à sa mort en 372/983, et ses successeurs Buyids n’avaient pas les ressources nécessaires pour les poursuivre. Si les Buyides ont effectivement apporté des éléments persans à Bagdad, en termes de personnel, de ressources et de styles royaux, ils n’ont pas fait de Bagdad une capitale persane et la langue de la cour et de l’administration est restée l’arabe.
Il semble qu’il en soit resté de même pour le Saljuq de Bagdad après 447/1055, période qui vit la fondation de la plus grande des écoles de Bagdad, la Neẓāmīya, fondée par le vizir persan Ḵᵛāja Neẓām-al-Molk en 457/1065. En effet, le mouvement qui voit la fondation de nombreuses madrasas à Bagdad à cette époque est largement d’inspiration persane. Après 552/1157, l’emprise saljuq sur Bagdad disparaît effectivement, et le dernier siècle avant la conquête mongole voit la ville sous la domination des califes ʿAbbasides et les liens politiques avec la Perse rompus.
Il y avait d’autres façons dont les modes de vie bagdadi étaient influencés par des éléments persans. Dans l’habillement, le haut qalansowa (un grand chapeau conique) qui devint à la mode au 3e/9e siècle en est un exemple. Les fêtes persanes étaient célébrées par les califes, notamment le Now Rūz, qui devint un événement majeur dans la ville à partir de l’époque du calife al-Motawwakel (232-47/847-61). De nombreux plats courants de la cuisine de Bagdad, bezmaverd et sīkbāj par exemple, portaient des noms persans, et à partir de l’époque de Hārūn al-Rašīd (170-93/786-809), le jeu de polo, typiquement persan, devint un passe-temps favori à la cour. Si l’on ajoute à cela le vaste afflux de biens matériels persans, textiles, céramiques et ouvrages en métal, attirés par la cour très dépensière, on obtient l’image d’une culture de la haute société fortement influencée par les pratiques persanes. Tout cela, cependant, ne faisait pas de Bagdad une ville persane et les éléments persans étaient omniprésents mais jamais écrasants ; ce n’est qu’à l’époque jalayeride, après le départ des ʿAbbasides, que Bagdad s’est approchée d’une capitale persane.
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Termes de recherche :
بغداد، روابط ایران قبل از حمله مغول | baghdad ravabet e iran ghabl az hamleh moghol |
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