La kératoconjonctivite sicca (KCS), ou sécheresse oculaire, est une affection oculaire couramment diagnostiquée chez le chien, et plus rarement chez d’autres espèces. La KCS résulte le plus souvent d’une quantité insuffisante de larmes ou d’une qualité déficiente des larmes. Les larmes sont produites par la glande lacrymale ou glandes lacrymales, et la glande de la troisième paupière. Les larmes sont nécessaires pour assurer la lubrification et la nutrition de la cornée, ainsi que pour éliminer les débris et/ou les agents infectieux de l’œil (Haeussler et Korb, 2018).

Le but de cet article est de fournir des informations détaillées sur les facteurs contributifs et les options de traitement. Un glossaire contenant des termes d’ophtalmologie est fourni (tableau 1).


Tableau 1. Glossaire des termes d’ophtalmologie
Tableau 1. Glossaire des termes d’ophtalmologie

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Alacrima Anomalie de la production de larmes
Humour aqueux Fluide aqueux avec l’œil
Blépharospasme Contraction anormale des muscles de la paupière
Cellule endothéliale. pléomorphisme Changement de forme des cellules endothéliales
Epiphora Larmoiement excessif des yeux
Episcléral Couche de tissu située entre la conjonctive et la sclère (blanc de l’œil)
Exophtalmie Projection de l’œil . l’oeil
Lagophtalmie Incapacité de fermer complètement les paupières
Macropalpébrale Fissure des paupières excessivement grande grande fissure des paupières et longueur des paupières
Chirurgie de canthoplastie médiale Réduction de la fissure palpébrale
Polymégathisme Changement de taille des cellules endothéliales
Proptose Déplacement de l’œil
Sous-conjonctival Surface interne des paupières

Causes

Il existe plusieurs causes connues de KCS chez le chien, notamment : immunitaire, congénitale, métabolique, infectieuse, médicamenteuse, neurogène, radiologique, iatrogène et idiopathique (Dodi, 2015).

  • À médiation immunitaire : maladies à médiation immunitaire qui endommagent les glandes productrices de larmes aqueuses. Il s’agit de la cause la plus fréquente de KCS et elle est mal comprise. Le système immunitaire de l’organisme attaque les cellules qui produisent une partie du film lacrymal, ce qui entraîne une diminution de la production. On pense qu’il s’agit d’un trouble héréditaire (Hunter et Ward, 2019).
  • Congénital : alacrima congénital observé chez le Yorkshire Terrier, le Bedlington Terrier, le Cocker anglais et le Cavalier King Charles Spaniel (Dodi, 2015).
  • Métabolique : hypothyroïdie, hyperthyroïdie et diabète sucré. Jusqu’à 20 % des chiens atteints d’hypothyroïdie ont également été signalés comme souffrant de KCS (Gelatt, 2005). Les manifestations oculaires établies du diabète sucré canin comprennent des cataractes, une perte de cellules endothéliales cornéennes, un pléomorphisme et un polymégathisme des cellules endothéliales, une diminution de la sensibilité cornéenne et une sensibilité accrue au KCS (Foote et al, 2019). Une étude a montré une réduction significative de la production de larmes chez les animaux atteints de diabète sucré, d’hypothyroïdie et d’hyperadrénocorticisme (Williams et al, 2019).
  • Infectieux : le virus de la maladie de Carré affecte les glandes lacrymales et les glandes de la troisième paupière et peut entraîner un dysfonctionnement temporaire ou permanent. Le KCS a également été associé à une infection par Leishmania spp. et à une conjonctivite chronique virale ou bactérienne avec fibrose des glandes ou de leurs conduits. L’herpèsvirus félin peut induire le KCS par une fibrose des conduits de la glande lacrymale (Maggs et al, 2012).
  • Induite par des médicaments : Le KCS chez le chien a été associé à l’étodolac, un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), ainsi qu’à de nombreux dérivés du sulfate. Une réduction temporaire de la production de larmes peut également être causée par une anesthésie générale et l’atropine topique ou systémique (Maggs et al, 2012).
  • Neurogène : une maladie du système nerveux central est occasionnellement observée après une proptose traumatique ou après une maladie neurologique qui interrompt les nerfs de la glande lacrymale. Les patients peuvent souvent avoir un nez sec du même côté que l’œil sec (petMD, 2019).
  • Radiation : chez certains patients qui ont subi une radiothérapie, il peut y avoir des dommages aux glandes lacrymales, mais heureusement, c’est une cause moins fréquente de KCS chez les chiens (Dodi, 2015).
  • Iatrogène : Le KCS survient fréquemment après l’ablation d’une glande prolabée de la troisième paupière, mais le délai médian de survenue est de 4,5 ans après l’opération. Il peut également être observé chez les patients chez qui le nerf facial est perturbé (par exemple, ablation du canal auditif) (Maggs et al, 2012).
  • Idiopathique : une cause sous-jacente est inconnue.

Signes cliniques et diagnostics

Les signes cliniques du KCS dépendent de la gravité de l’affection. Une conjonctivite récurrente avec un écoulement mucopurulent et une cornée terne et sans éclat sont habituels. La progression entraîne un épaississement conjonctival, une vascularisation et une pigmentation de la cornée et parfois une ulcération grave (Turner, 2005). Le patient peut se frotter les yeux, les tenir complètement fermés ou présenter un certain degré de blépharospasme (figure 1).


Figure 1. Un patient présentant une sécheresse oculaire bi-latérale sévère, tenant ses yeux partiellement fermés en raison de l’inconfort;

La KCS peut être diagnostiquée par l’utilisation d’un test lacrymal de Schirmer (STT) (figure 2). Le STT doit toujours être le premier test effectué lors d’un examen ophtalmique afin de s’assurer qu’aucun larmoiement excessif n’a été provoqué par la manipulation des structures oculaires, ce qui peut alors conduire à un faux résultat. Des lectures de moins de 10 mm de mouillage en une minute confirment le KCS, tandis que des lectures de 10-15 mm sont suspectes chez les chiens (Turner, 2005). La production normale de larmes chez les chiens est de >15 mm/minute.


Figure 2. Un test lacrymal de Schirmer réalisé sur un patient présentant un écoulement oculaire et un blépharospasme.

Il peut être impossible de réaliser un STT précis au moment de l’examen. Il se peut que le patient ait développé un ou des ulcères en raison d’une cornée sévèrement sèche, auquel cas il peut y avoir un épiphora excessif et le résultat serait inexact. Il se peut également que le patient soit agressif (par tempérament ou à cause de la douleur) et qu’il refuse que le test soit effectué. Dans chaque situation, l’histoire du patient, les signes cliniques et les causes potentielles doivent être pris en compte.

Facteurs influençant le KCS

La prévalence de race du KCS à médiation immunitaire a été déterminée par des recherches cliniques menées au Royaume-Uni et aux États-Unis. Les races à risque accru comprennent : Les épagneuls cavaliers King Charles, les bouledogues anglais, les Lhassa Apsos, les Shih Tzus, les West Highland White Terriers, les carlins, les chiens de sang, les cockers américains, les cockers anglais et les Springer anglais, les pékinois, les Boston Terriers, les Schnauzers miniatures et les Samoyèdes (Dodi, 2015).

Conformation

Les races brachycéphales en particulier présentent diverses anomalies de conformation de l’œil, notamment une exophtalmie (protrusion anormale des yeux), une fissure macropalpébrale (ouverture trop large des paupières par rapport à la taille de l’œil) et une lagophtalmie (incapacité à fermer complètement les paupières) (Godfrey et Godfrey, 2019). Ces anomalies de conformation signifient que le film lacrymal est incapable de couvrir toute la surface de l’œil, ce qui entraîne une lubrification insuffisante et des particules potentiellement nocives qui se sont frayées un chemin jusqu’à la surface de la cornée ne sont pas éliminées par lavage.

Age

La production de larmes diminue avec l’âge chez les chiens normaux ; le KCS est, en fait, plus fréquent chez les animaux âgés que chez les plus jeunes (Dodi, 2015).

Sédation et anesthésie

Il est bien connu que les tranquillisants, les sédatifs, les opioïdes et les médicaments d’anesthésie générale affectent la production de larmes et la pression intraoculaire chez les chiens. Bien que la diminution de la production de larmes due à la sédation ou à l’anesthésie soit transitoire, elle peut entraîner des troubles cliniques, tels que des érosions et des ulcères cornéens, qui affectent la vision et causent de l’inconfort (Leonardi et al, 2019).

Dans une étude, 39 chiens ont subi un test lacrymal de Schirmer avant l’anesthésie et toutes les mesures étaient normales ; ils ont également subi un examen ophtalmique qui n’a rien révélé d’anormal. Après l’anesthésie, on a constaté une réduction statistiquement significative de la production de larmes, qui est revenue à des valeurs normales 2 heures après l’anesthésie, quelle que soit la durée de l’opération (Komnenou et al, 2013).

Une autre étude de Volk et al a montré qu’une prémédication intramusculaire de méthadone et d’acépromazine a entraîné une diminution de la production de larmes chez les chiens avant une anesthésie générale élective (Volk et al, 2018).

Traitement

Une fois que le KCS a été diagnostiqué ou suspecté, il est important de commencer le traitement rapidement et il devra être poursuivi toute la vie. Si le KCS n’est pas diagnostiqué et traité, l’affection progressera et provoquera de graves opacités cornéennes, puis la cécité (Herrera, 2005).

Le traitement peut être médical ou chirurgical, et parfois les deux. La prise en charge médicale vise à stimuler la production de larmes (avec de la ciclosporine topique) et à compléter les larmes avec une variété de lubrifiants. Des antibiotiques topiques et des agents anti-inflammatoires peuvent également être nécessaires (Turner, 2005).

Il est important de déterminer le tempérament du patient à ce stade car la gestion médicale peut ne pas être une option pour le propriétaire si le chien ne tolère pas les gouttes oculaires ; dans ce cas, les options chirurgicales doivent être instantanément explorées.

Avant d’administrer des médicaments, il est important de nettoyer l’écoulement de chaque œil pour éviter la formation de croûtes et s’assurer que le médicament atteint la surface oculaire. On peut utiliser une solution saline stérile ou demander aux propriétaires d’utiliser de l’eau bouillie refroidie sur des tampons de coton cosmétiques à la maison pour nettoyer doucement les yeux si nécessaire. Un coton différent doit être utilisé pour chaque œil afin que si des bactéries sont présentes dans un œil, elles ne soient pas transférées à l’autre.

La pommade à la cyclosporine (Optimmune, MSD Animal Health) traite la maladie auto-immune sous-jacente qui cause l’œil sec, ainsi que les symptômes, en stimulant les glandes lacrymales pour qu’elles reprennent une certaine production de larmes, en stoppant la destruction immunitaire de ces glandes et en réduisant l’inflammation des yeux (Msd-animal-health.co.nz, 2018). La ciclosporine peut être un peu difficile à administrer car il s’agit d’une pommade huileuse plutôt que d’une goutte, et les propriétaires bénéficient donc souvent qu’on leur montre comment l’administrer avant de les renvoyer chez eux avec le traitement.

Si la production de larmes n’a toujours pas augmenté, la ciclosporine à 1% ou 2% toutes les 8 heures ou le tacrolimus topique toutes les 12 heures doivent être envisagés (Maggs et al, 2012). Le tacrolimus en pommade est un autre agent immunomodulateur appliqué par voie topique dont l’utilisation s’est généralisée, mais il est hors licence au Royaume-Uni et doit donc être utilisé pour les cas qui ne répondent pas à la ciclosporine (Lewin, 2014). Les résultats préliminaires sur une petite étude menée par Hendrix et al, soutiennent la solution ophtalmique de tacrolimus comme potentiellement efficace pour augmenter la production de larmes chez les chiens ne répondant pas au traitement avec la ciclosporine A (Hendrix et al, 2011).

Il faut parfois jusqu’à 8 semaines pour que le tacrolimus ou la ciclosporine augmente la production de larmes (Kuonen Cavens, 2018). L’efficacité du traitement est mieux évaluée par une diminution des signes cliniques de blépharospasme, d’hyperémie conjonctivale, d’écoulement oculaire mucoïde, de cicatrice cornéenne et d’ulcération cornéenne (Kuonen Cavens, 2018). L’utilisation de la ciclosporine A semble être sûre chez les patients présentant une ulcération cornéenne (Gelatt, 2005).

La pilocarpine peut également être un stimulant lacrymal efficace dans les cas de KCS neurogène, à condition qu’un certain tissu lacrymal fonctionnel soit présent. Elle peut être utilisée par voie topique (mais présente des effets secondaires indésirables tels que douleur, rougeur et picotement des yeux) ou, plus couramment, par voie orale dans l’alimentation deux fois par jour. Les doses sont empiriques et dépendent de la réponse de chaque individu (Turner, 2005), et seront déterminées par le vétérinaire.

Le collyre oral de pilocarpine 1-2% doit être mélangé à la nourriture avec la dose initiale suivante : 1 goutte/10 kg de poids corporel pour toutes les 12 heures (Dodi, 2015). La dose peut ensuite être augmentée progressivement jusqu’à ce que des effets secondaires indésirables soient observés. Les effets secondaires de la pilocarpine orale peuvent être des diarrhées, de la bave, des vomissements ou une baisse du rythme cardiaque. Pour cette raison, si le poids du chien est <5 kg, il est recommandé de n’utiliser que de la pilocarpine à 1% (Dodi, 2015).

Des lubrifiants topiques sont utilisés dans le traitement du KCS, souvent en association avec la ciclosporine. Ces larmes artificielles humidifient et lubrifient les surfaces oculaires sèches, et de nombreux types différents existent. Les combinaisons de gel contenant du carbomer 980 (Viscotears, CIBA vision ; GelTears, Chauvin) sont plus durables et nécessitent une application 4 à 6 fois par jour (Turner, 2005) (Figure 3).


Figure 3. Quelques lubrifiants topiques qui peuvent être utilisés pour aider à gérer la kératoconjonctivite sicca.

Pour les chiens qui ne répondent pas au traitement médical, il existe des options chirurgicales pour la KCS, notamment une transposition du canal parotidien, une greffe de muqueuse buccale et une implantation épisclérale de cyclosporine (Kuonen Cavens, 2018).

Il est également intéressant d’envisager une chirurgie des paupières chez les patients brachycéphales, pour aider à améliorer leur conformation anormale. La chirurgie de canthoplastie médiale consiste à réduire la longueur des paupières et la fissure palpébrale (ouverture entre les paupières) en retirant une partie de la paupière dans le coin à côté du nez (Royal Veterinary College, n.d). Cela permettra de s’assurer que les paupières sont en mesure de couvrir l’ensemble du globe et de permettre aux larmes de mieux lubrifier l’œil.

Implants de cyclosporine

Pour les patients qui ne permettront pas l’administration de médicaments topiques, les implants de cyclosporine sont une excellente alternative.

Les dispositifs ou implants de médicaments à libération prolongée oculaire présentent de nombreux avantages par rapport aux méthodes plus traditionnelles d’administration de médicaments dans l’œil. Ces avantages comprennent l’administration de niveaux thérapeutiques constants de médicament directement au site d’action, le contournement de certaines barrières hémato-oculaires et l’élimination du besoin de compter sur les propriétaires (Gilger, 2017).

Le plus souvent, ces dispositifs sont utilisés chez les chevaux. Une étude a montré que les implants épiscléraux de ciclosporine chez les chiens étaient sûrs, et qu’il produisait des niveaux de médicament dans la glande lacrymale de 1 à 2 unités logarithmiques plus élevés que ceux rapportés avec une variété de formulations topiques de ciclosporine (Gilger et al, 2014). L’implant épiscléral est placé dans une poche sous-conjonctivale, et l’encapsulation fibreuse fixe correctement l’implant à l’épisclère (Gelatt et al, 2014) (Figure 4). Le patient devra être sous anesthésie générale pour cette procédure. Les implants doivent généralement être remplacés après environ 3 ans, selon l’expérience de l’auteur. Pour cette raison, il est important que le patient retourne au cabinet vétérinaire pour être examiné et qu’une nouvelle STT soit effectuée.


Figure 4. Un implant de cyclosporine.

Une étude pilote de Barachetti et al (impliquant 15 chiens) a suggéré que les implants de cyclosporine étaient bien tolérés et efficaces chez les chiens atteints de KCS répondant à la cyclosporine A topique ainsi que chez les chiens ayant une faible réponse à la thérapie topique. Au cours de la période de suivi, aucune complication ou signe de toxicité associé aux implants ou à la ciclosporine A n’a été observé (Barachetti et al, 2015). La dose suggérée dans l’étude était de 12 mg de cyclosporine contenue dans des implants de 1,9 cm de long, 2 mm de large et 1 mm d’épaisseur (Maggs et al, 2017).

Conclusion

Le KCS peut évoluer pour devenir une condition très inconfortable et douloureuse pour les patients et il est important de réaliser un STT dans le cadre de l’examen ophtalmique. Il existe différentes causes de KCS et des facteurs influençant son développement, cependant la cause la plus fréquemment observée chez le patient canin est à médiation immunitaire. En fonction de la cause, il peut être nécessaire d’explorer les options qui permettront de réduire la sécheresse oculaire, comme la canthoplastie médiale chez les chiens brachycéphales. Le traitement du KCS doit commencer le plus tôt possible et tout problème secondaire, tel que les ulcères et les infections, doit être traité immédiatement. Il existe différentes options de traitement et les implants de ciclosporine peuvent être bénéfiques, en particulier si le patient est agressif ou difficile à médicamenter.

Points clés

  • Il existe plusieurs causes connues de kératoconjonctivite sicca (KCS) chez le chien, notamment à médiation immunitaire, congénitale, métabolique, infectieuse, médicamenteuse, neurogène, radiologique, iatrogène et idiopathique.
  • Les signes cliniques dépendent de la gravité de l’affection. Une conjonctivite récurrente avec un écoulement mucopurulent et une cornée terne et sans éclat sont habituels.
  • Le test lacrymal de Schirmer doit toujours être le premier test effectué lors d’un examen ophtalmologique pour s’assurer qu’aucun larmoiement excessif n’a été provoqué par la manipulation des structures oculaires, ce qui peut alors conduire à un faux résultat.
  • Le traitement peut être médical ou chirurgical, et parfois les deux. La gestion médicale vise à stimuler la production de larmes et à compléter les larmes.
  • Pour les patients qui ne permettront pas l’administration de médicaments topiques, les implants de ciclosporine sont une excellente alternative.

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