La seule trace disponible de la vie de Mattie Jackson provient de son propre récit, qui a été enregistré en son nom par sa belle-mère, le Dr L. S. Thompson. Jackson est née vers 1846 à St. Louis, Missouri, d’un père esclave nommé Westly Jackson et d’une mère esclave, Ellen Turner, qui appartenait à un autre maître. Bien que Turner ait été vendue à plusieurs reprises à des propriétaires qui ont éloigné la famille, Westly Jackson a eu trois filles avec Turner : Sarah Ann, Mattie Jane et Esther J. Avec l’aide de Turner, Westly Jackson finit par s’échapper vers la liberté dans le Nord et devient prédicateur. Six ans plus tard, Turner s’est remariée avec un homme du nom de George Brown, et le couple a eu deux fils avant que Brown ne s’échappe également au Canada. Turner a fait six tentatives d’évasion infructueuses, mais elle a été contrecarrée par l’épuisement et la dépendance de ses enfants. Jackson, quant à elle, a fini par échapper à l’esclavage grâce au chemin de fer clandestin en 1863. Peu de temps après son évasion, la sœur, la mère et le demi-frère de Jackson ont tous réussi à fuir l’esclavage. Jackson a fini par retrouver sa mère et son demi-frère, mais ils n’ont jamais pu retrouver sa sœur. Après l’émancipation, Jackson retourne à St. Louis avec sa mère, qui se remarie à nouveau. Peu après son installation à St Louis, le beau-père de Jackson, George Brown, découvre l’endroit où se trouve la famille et fait venir Jackson et son demi-frère à Lawrence, dans le Massachusetts. Là, elle fait la connaissance de la nouvelle femme de Brown, un médecin, et s’installe dans la société de Lawrence.

L’histoire de Mattie J. Jackson a une double mission. Comme l’affirme sa préface, le premier objet du récit est de  » gagner la sympathie des amis sincères de ceux qui ont été ligotés par une race dominante dans des circonstances sur lesquelles ils n’avaient aucun contrôle  » (p. 2). Le deuxième objectif du texte est de collecter des fonds pour l’éducation. Jackson sollicite les lecteurs  » pour qu’ils achètent mon petit livre afin de m’aider à obtenir une éducation, afin que je puisse être en mesure de faire quelque chose de bien en faveur de l’élévation de mes frères et sœurs émancipés  » (p. 2).

Le récit est quelque peu inhabituel car il raconte la vie de Jackson presque entièrement comme une histoire de famille, relatant les expériences de sa mère et de ses frères et sœurs comme une partie intégrante de sa propre histoire. Bien que le corps du récit soit intitulé « L’histoire de Mattie », de grandes parties sont consacrées aux fréquentations, aux mariages et aux séparations de la mère du père et du beau-père de Jackson. Alors que sa mère participe à l’évasion de ses maris, trouvant  » du réconfort dans la contemplation de son mari devenant un homme libre  » et  » l’espoir que sa petite famille […] puisse s’échapper elle aussi et ne plus se retrouver sur terre  » (p. 6), ces passages mettent également en évidence le traumatisme psychologique infligé à ceux qui tentent de nouer des relations dans un contexte d’esclavage où la séparation forcée est une menace constante. En outre, le récit souligne la façon dont ces traumatismes affectent les enfants de ces relations : « Je n’oublierai jamais l’angoisse amère du cœur de mes parents, les soupirs qu’ils ont poussés ou la profusion de larmes qui ont coulé sur leurs carreaux de zibeline » (p. 5). L’accent mis par Jackson sur la lignée et la famille dans le récit souligne à la fois la valeur et la fragilité de ces relations.

Au fur et à mesure qu’elle se déroule, l’histoire de Jackson reste largement imbriquée avec celle de sa mère, qui lui vient souvent en aide pendant leur asservissement. Dans un moment significatif, un maître nommé M. Lewis est incité par sa femme à battre Jackson, qui rapporte que Lewis  » m’aurait puni davantage si ma mère n’était pas intervenue  » mais qu’il  » était conscient que ma mère pouvait généralement se défendre contre un seul homme, et que toutes les deux nous le maîtriserions  » (p. 12). Cette alliance entre la mère et la fille montre non seulement l’importance du lien qui les unit, mais elle révèle aussi ce lien comme une source de résistance potentiellement puissante.

Jackson dépeint les possibilités accrues de rébellion offertes par l’agitation des années menant à la fin de la guerre, et l’interaction avec les troupes de l’Union en révèle beaucoup sur les incertitudes sociales durant les dernières années de la guerre civile. Les esclaves afro-américains trouvent de l’espoir dans l’occupation de l’Union, se fiant aux rumeurs et à la collecte illicite de nouvelles pour obtenir des informations sur les lents progrès du pays vers l’émancipation : « Ma mère et moi pouvions lire suffisamment pour comprendre les nouvelles dans les journaux. Les soldats de l’Union prenaient un malin plaisir à nous lancer un journal par-dessus la clôture. Cela agaçait beaucoup ma maîtresse » (p. 10). Bien que les troupes de l’Union ne pouvaient pas empêcher la vente d’esclaves à l’intérieur des frontières de l’État et avaient peu de pouvoirs pour interférer avec la relation maître-esclave, elles offraient une protection limitée et intervenaient parfois pour empêcher des punitions publiques sévères.

Après sa fuite à Indianapolis, Jackson commence son éducation formelle, qu’elle considère à la fois comme un avantage de sa nouvelle liberté et une qualité fondamentale pour son avancement : « J’ai commencé à sentir que, puisque j’étais libre, je pouvais apprendre à écrire […]. . . Je conseillerais à tous, jeunes, d’âge moyen ou vieux, dans un pays libre, d’apprendre à lire et à écrire » (p. 23). Jackson développe ce sentiment lorsqu’elle décrit ses expériences à Lawrence, notant qu’elle a saisi l’occasion d’aller à l’école mais qu’elle  » avait besoin de plus d’attention que ce que mon gentil professeur pouvait m’accorder  » (p. 29). Jackson publie donc son histoire afin d’obtenir  » une aide pour terminer mes études  » (p. 29).

Jackson décrit brièvement ses retrouvailles avec sa mère et son demi-frère ainsi que les démarches qui la ramènent à Saint-Louis puis à Lawrence, pour vivre avec son beau-père et sa belle-mère. Bien que sa mère lui manque, elle se sent « immédiatement chez elle parmi des gens si gentils et amicaux » (p. 28). Elle perçoit rapidement les différences culturelles dans sa nouvelle ville, notant que la couleur de sa peau ne suscite plus de remarques en public et ne l’empêche pas d’accéder aux lieux publics :  » On ne me rappelait pas ma couleur…. On ne m’a jamais permis de fréquenter une église blanche, ni de monter dans un moyen de transport public sans être placée dans une voiture spécialement prévue à cet effet » (p. 29). Si Jackson ne décrit pas Lawrence comme un lieu d’égalité raciale utopique, elle prend note de la manière dont les changements provoqués par la guerre civile et l’émancipation ont supprimé de nombreuses barrières sociales et économiques pour les Afro-Américains, et elle semble se sentir le plus libre lorsqu’elle parcourt la ville, pouvant  » monter où bon me semble, sans la moindre remarque  » (p. 29).

Jenn Williamson

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