Perte de vision monoculaire
La perte de vision monoculaire représente la situation de test idéale, car il est difficile pour le patient de séparer ce que chaque œil voit individuellement (Bruce et Newman, 2010 ; Newman et Biousse, 2014). Les patients réellement monoculaires peuvent toujours naviguer dans un nouvel environnement avec aisance tant qu’ils disposent d’une vision utile dans l’œil non affecté. Cependant, l’observation a un rôle à jouer chez le patient NOVL qui se plaint d’une perte de vision monoculaire. Par exemple, ces patients peuvent essayer de fermer un œil pendant l’examen pour simuler leur plainte de perte de vision monoculaire (Bruce et Newman, 2010 ; Newman et Biousse, 2014). Il peut être utile de poser un patch sur le bon œil (avec un patch scotché) d’un patient présentant une perte visuelle monoculaire présumée profonde et d’observer le comportement du patient pendant l’entretien. La réussite de nombreux tests qui seront présentés dans le reste de ce chapitre dépend, en partie, de la capacité de l’examinateur à utiliser des tours de passe-passe, un badinage approprié et une fausse direction, de la même manière qu’un illusionniste détourne un public avec des mouvements de la main ou du corps ou distrait le public avec un badinage habilement engagé (Bruce et Newman, 2010 ; Newman et Biousse, 2014).
Les tests de stéréopsie sont un bon moyen de prouver une vision binoculaire utile. Une bonne stéréopsie nécessite une bonne vision dans chaque œil individuellement et la capacité d’utiliser les yeux à l’unisson (fusion) (Levy et Glick, 1974 ; Bruce et Newman, 2010 ; Newman et Biousse, 2014). Lorsqu’il pratique la stéréopsie avec un patient suspecté de NOV monoculaire, l’examinateur doit décrire le test d’une manière véridique mais qui ne trahit pas sa véritable intention, par exemple en disant : » C’est un test de votre capacité à voir en 3D. » Le tableau 29.1 montre l’association entre la stéréopsie et l’acuité visuelle dans chaque œil pour le degré de stéréopsie enregistré (Levy et Glick, 1974).
Tableau 29.1. Relation entre l’acuité visuelle Snellen et la stéréopsie*
Stereopsis (secondes d’arc) | Acuité visuelle dans chaque œil. (Snellen) |
---|---|
40 | 20/20 |
43 | 20/25 |
52 | 20/30 |
61 | 20/40 |
89 | 20/50 |
94 | 20/70 |
124 | 20/100 |
160 | 20/200 |
* Stéréopsie, mesurée en secondes d’arc à partir d’un test de Titmus standard, est indiquée dans la colonne de gauche. L’acuité visuelle Snellen minimale correspondante nécessaire pour obtenir un score donné à l’épreuve de Titmus est indiquée dans la colonne de droite. Une inadéquation entre l’acuité visuelle et la stéréopsie, c’est-à-dire une acuité visuelle plus mauvaise que celle suggérée par le score correspondant à l’épreuve de Titmus, est évocatrice d’une perte visuelle non organique.
Adapté de Biousse et Newman (2009), p. 7 et 503.
De même, l’utilisation de lunettes à verres colorés (un verre vert et un verre rouge) ou de lunettes dont les verres sont polarisés dans différentes directions peut aider à démasquer le patient NOVL. L’utilisation de tableaux oculaires spécialement conçus avec des lettres vertes et rouges alternées, dans le premier cas, ou avec des lettres polarisées, dans le second cas, peut permettre à l’examinateur de tester la vision de chaque œil séparément à l’insu du patient (Levy et Glick, 1974 ; Bruce et Newman, 2010 ; Newman et Biousse, 2014). Dans le cas de l’utilisation de lentilles colorées, le patient ne pourra voir que les lettres rouges à travers la lentille rouge et les lettres vertes à travers la lentille verte. De même, les lentilles polarisées ne laissent passer que la lumière projetée dans le même axe que les lentilles et aucune lumière ne sera vue si l’axe de la lumière est éloigné de 90° de l’axe de polarisation de la lentille.
Tester la stéréopsie et/ou utiliser des lunettes avec des lentilles colorées ou des lentilles polarisées sont d’excellents choix chez le patient NOVL rapportant une baisse de vision dans un seul œil, car ils fonctionnent sur des principes qui ne sont généralement pas connus de nos patients. Ils permettent au patient de garder les deux yeux ouverts tout en testant réellement chaque œil individuellement sans altérer/manipuler la vision dans l’œil » qui voit mieux « , ils sont quantifiables et peuvent être reproduits avec précision entre les examinateurs.
Une carte oculaire de poche nouvellement conçue, développée pour être utilisée avec des patients suspectés de NOVL, contient des objets de taille progressivement décroissante, mais l’acuité visuelle minimale nécessaire pour voir les plus grands objets sur la carte est la même que l’acuité visuelle nécessaire pour voir les plus petits objets. Les patients atteints de perte visuelle organique sont capables d’identifier tous les objets de la carte oculaire, tandis que les patients atteints de NOVL ont tendance à n’identifier que les plus gros objets (Mojon et Flueckiger, 2002 ; Pula, 2012).
Un autre test quantifiable pour déterminer la vision dans l’œil apparemment le plus mauvais consiste à embuer (ajouter une lentille plus modérément élevée devant) l’œil » qui voit mieux « , réduisant ainsi efficacement la vision dans cet œil. La meilleure vision obtenue du patient sera alors égale à la vision du « mauvais » œil non embué (Miller, 1973 ; Kramer et al., 1979 ; Smith et al., 1983 ; Keltner et al., 1985 ; Thompson, 1985 ; Bienfang et Kurtz, 1998). Bien que la formation de buée nécessite généralement l’utilisation d’un phoroptère, un équipement spécialisé utilisé pour la réfraction dans les cabinets d’ophtalmologie, le fait de brandir une lentille détachée devant le patient a le même effet. Il est également possible de fabriquer des lunettes antibuée à partir de lunettes de lecture en vente libre, en retirant un verre d’une paire de lunettes de lecture de puissance modérément élevée (par exemple, + 3,50 D) et en le remplaçant par un verre plus de faible puissance (par exemple, + 0,25 D) ou un verre sans aucune puissance de réfraction (plano). Ces lunettes peuvent ensuite être placées sur le patient pour obtenir une mesure quantifiable de la vision de l’œil en question. Ces tests présentent l’avantage de pouvoir non seulement réfuter le dysfonctionnement de l’œil concerné, mais aussi de démontrer de manière quantifiable le degré de fonction de cet œil, permettant ainsi à l’examinateur de diagnostiquer la NOVL.
Des manœuvres moins quantitatives existent également, comme le test des prismes ou le test du champ visuel binoculaire. Dans le test du prisme, un objet, tel qu’une lettre sur le tableau oculaire, est présenté au patient et chaque œil est séquentiellement occlus. L’objet choisi pour le test doit être le plus grand objet que le patient déclare être capable de voir avec son « bon » œil mais incapable de voir avec son « mauvais » œil. Un prisme (par exemple, un prisme 4-D) est placé verticalement au-dessus du « bon » œil et on demande au patient s’il voit deux objets (Bienfang et Kurtz, 1998 ; Golnik et al., 2004 ; Chen et al., 2007 ; Bruce et Newman, 2010 ; Pula, 2012 ; Newman et Biousse, 2014). Si le patient voit deux objets, alors l’examinateur a prouvé une vision utile dans le « mauvais » œil. Un patient véritablement monoculaire ne serait jamais capable de voir deux objets lors d’un test de prisme.
Une variante de ce test consiste à occlure le « mauvais » œil et à bissecter l’axe visuel du « bon » œil avec un prisme produisant une diplopie monoculaire dans le « bon » œil. On demande ensuite au patient d’ouvrir le « mauvais » œil et le prisme est rapidement déplacé pour couvrir complètement le « bon » œil (idéalement, sans que le patient soit conscient que le prisme a été déplacé). Chez les patients dont la vision est extrêmement faible dans un œil, aucune diplopie ne sera présente. Cependant, un patient atteint de NOVL prétendra quand même avoir une diplopie (Incesu, 2013). Il s’agit d’une variante utile du test du prisme, mais elle implique un certain tour de passe-passe et peut être découverte par le patient astucieux atteint de NOVL. Bien que ces tests soient des compétences utiles à posséder, l’une des prémisses est que le « mauvais » œil doit avoir une vision profondément plus mauvaise que le « bon » œil. Ces tests ne sont pas utiles pour les patients se plaignant d’une perte de vision subtile dans un œil.
Chez les patients déclarant une vision pire que 20/400 dans un œil, un tambour de nystagmus optocinétique (OKN) peut être utilisé pour évaluer la vision dans le « mauvais » œil. Une fois le « bon » œil occlus, on fait tourner le tambour de nystagmus optocinétique devant le patient. La présence de la phase rapide et lente appropriée du nystagmus en réponse au tambour OKN dans le » mauvais » œil démontre une acuité visuelle d’au moins 20/200 (Weller et Wiedemann, 1989 ; Bienfang et Kurtz, 1998 ; Bruce et Newman, 2010 ; Newman et Biousse, 2014).
Le test du champ visuel binoculaire, un autre test mieux utilisé avec les patients se plaignant d’une perte de vision monoculaire profonde, fonctionne en cartographiant la tache aveugle physiologique sur le test du champ visuel formel. Lorsque les deux yeux sont ouverts, la tache aveugle physiologique ne devrait pas être apparente sur l’affichage du champ visuel. Cependant, si un œil présente une perte de vision profonde, la tache aveugle sera présente, même avec les deux yeux ouverts. La mise en garde est que la cartographie de la tache aveugle, même avec un œil occlus, exige que le patient ait une bonne fixation sur la cible spécifiée pendant toute la durée du test. Si le patient est incapable de fixer la cible, alors la tache aveugle ne sera pas cartographiée, même chez une personne ayant une bonne acuité visuelle (Bruce et Newman, 2010 ; Newman et Biousse, 2014).
Tester les réponses pupillaires est essentiel chez les patients présentant une perte visuelle monoculaire. L’absence de défaut pupillaire afférent relatif (RAPD ou pupille de Marcus Gunn) implique un fonctionnement du système visuel de la rétine au chiasma optique. Les maladies oculaires responsables d’une perte visuelle profonde sont évidentes à l’examen. Lorsque l’examen oculaire est normal, une perte visuelle monoculaire profonde suggère une neuropathie optique et un RAPD doit être évident. Les troubles rétiniens occultes ne doivent pas être manqués dans cette situation. En arrière du chiasma optique, jusqu’au niveau du corps géniculé latéral, une lésion du tractus optique produira un RAPD controlatéral subtil (Bruce et Newman, 2010 ; Newman et Biousse, 2014).
Les tests décrits dans la section suivante sur la perte visuelle binoculaire peuvent également être appliqués aux patients présentant une perte visuelle monoculaire ; cependant, chez les patients présentant une perte visuelle monoculaire, le » bon » œil doit être occlus afin de prouver une vision utile dans le » mauvais » œil. Les patients astucieux atteints de NOVL peuvent adapter leurs réponses à l’œil testé. Une mauvaise orientation et un tour de passe-passe sont parfois nécessaires pour obtenir un examen fiable dans ces situations.