Lorsque Harriet, le biopic sur Harriet Tubman, a fait ses débuts au début du mois, les critiques étaient majoritairement favorables et il a fait mieux que prévu au box-office, rapportant 12 millions de dollars son week-end d’ouverture. Plusieurs faits divers ont depuis éclipsé ces succès.
Principalement, le scénariste et producteur de Harriet, Gregory Allen Howard (Ali), a révélé dans une interview qu’il y a 25 ans, Julia Roberts a failli être castée pour jouer Tubman parce que les cadres d’Hollywood ne savaient pas que Tubman était noire. « C’était il y a si longtemps. Personne ne le saura », aurait dit un cadre à l’époque.
J’ai vu Harriet (Perfect World/Focus) pour la première fois au Festival international du film de Toronto. Même si j’avais décidé de ne plus jamais regarder de film sur l’esclavage – de Django Unchained à 12 Years a Slave en passant par The Birth of a Nation, j’en ai eu ma dose – j’ai quand même abordé celui-ci avec un esprit ouvert, en partie parce que le film a été réalisé par des femmes noires. Il a été produit par Debra Martin Chase (The Sisterhood of the Traveling Pants) et écrit et réalisé par Kasi Lemmons (Eve’s Bayou).
J’ai apprécié le film. En tant que tel, les critiques, parfois assez dures, m’ont surpris. D’où vient cette réaction négative ? Est-elle justifiée ? Le film déforme-t-il l’héritage d’Harriet Tubman ?
Qui était Harriet Tubman?
Harriet Tubman est née Araminta Ross en esclavage dans le Maryland vers 1820. En 1844, elle se marie et prend le nom d’un homme noir libre, John Tubman. Après s’être échappée du Maryland en 1849, Tubman s’est d’abord installée à Philadelphie.
Toutefois, avec l’adoption de la loi sur les esclaves fugitifs en 1850, elle a été forcée de s’aventurer au nord du Canada, s’installant à St. Catharines, en Ontario. Entre 1859 et 1860, certains estiment que Tubman a fait 19 voyages du sud au nord en suivant ce qui est devenu connu comme « le chemin de fer clandestin. »
En 1859, Tubman a quitté le Canada pour Auburn, N.Y. Avec le début de la guerre civile américaine, elle est devenue une espionne et une recruteuse pour l’armée de l’Union. Après la guerre, Tubman est retournée à Auburn où elle a vécu jusqu’à sa mort en 1913, à l’âge de 93 ans. Pour l’essentiel, le film suit ce récit.
#NotMyHarriet
Le backlash, qui provient principalement de la communauté noire, a commencé en 2018 lorsque l’actrice britannico-nigériane Cynthia Erivo a annoncé sur Twitter qu’elle avait été choisie pour jouer Tubman. Certains ont estimé que le choix de faire jouer une personne non américaine et non descendante de l’esclavage était irrespectueux pour les Afro-Américains, et dans une interview avec Essence, Erivo a partagé que quelqu’un a même demandé pourquoi les Britanniques noirs « prennent des rôles qui devraient être réservés aux Afro-Américains ? »
En 2017, Samuel L. Jackson a lancé ce débat public sur les acteurs britanniques noirs qui « volent » les rôles des Afro-Américains lorsqu’il a remis en question le casting des acteurs britanniques Daniel Kaluuya (Get Out) et David Oyelowo (Selma), et les a accusés de prendre le travail des Afro-Américains.
Utilisant le hashtag #NotMyHarriet, les utilisateurs de Twitter ont également critiqué Lemmons pour certaines des libertés qu’elle a prises avec les faits historiques. Plus particulièrement, l’antagoniste dans Harriet, Bigger Long (Omar J. Dorsey), est un chasseur de primes impitoyable et méprisable. Il est noir et travaille aux côtés du fils de l’esclavagiste de Tubman, Gideon Brodess (Joe Alwyn), pour capturer Tubman. Dans le film, la violence de Long n’est dirigée que vers les femmes noires. Sur Twitter, beaucoup n’ont pas cru qu’un chasseur de primes d’esclaves pouvait être noir.
Selon la vérification des faits effectuée par USA Today auprès de Kate Clifford Larson (qui est blanche), consultante historique sur Harriet, et de Lemmons, si les chasseurs de primes noirs étaient « beaucoup moins nombreux » que les chasseurs d’esclaves blancs, ils existaient bel et bien. En outre, là où Lemmons a pris une liberté créative avec les propriétaires de plantations de Tubman, comme Gideon, qui n’était pas une personne réelle, la famille Brodess, y compris la matriarche Eliza Brodess (Jennifer Nettles), étaient les véritables esclavagistes de Tubman.
Ce retour de bâton est-il justifié ?
Premièrement, l’esclavage n’est pas uniquement une réalité américaine. Le terme « esclavage transatlantique » désigne le déplacement forcé de personnes de l’Afrique de l’Ouest vers le « Nouveau Monde », ce qui signifie que, que la citoyenneté d’une personne soit britannique ou américaine, l’esclavage a eu un impact sur chaque personne d’ascendance africaine.
Deuxièmement, je peux voir où Harriet envoie le message que les hommes noirs étaient tout aussi abusifs que les hommes blancs pendant l’esclavage. La représentation du film donne non seulement l’impression que les hommes noirs avaient des niveaux d’agence comparables aux hommes blancs, mais aussi que nous, en tant que spectateurs, devrions donner aux Blancs un laissez-passer pour la brutalité de l’esclavage.
En réalité, les hommes noirs étaient tout aussi maltraités que les femmes noires pendant l’esclavage. La violence subie n’était pas seulement le fait des hommes blancs, mais aussi des femmes blanches. Cependant, cette représentation ne fait pas de Harriet le « film le plus anti-Noir jamais réalisé », comme certains l’ont déclaré sur Twitter.
Il est vraiment important de se demander pourquoi les spectateurs noirs critiquent sévèrement les films produits par des Noirs et des femmes, mais ferment les yeux sur les films sur les Noirs produits par des Blancs et des hommes, qui sont ressentis comme des attaques à notre santé mentale.
Dango Unchained de Quentin Tarantino, par exemple, a utilisé le mot N à 110 reprises, un chiffre étonnant, et dans The Hateful Eight, il a été utilisé 65 fois. Mais Samuel L. Jackson a défendu son utilisation. Comme l’a judicieusement demandé le journaliste de Gawker Rich Juzwiak, « je ne peux pas m’empêcher de me demander si Tarantino n’invente pas des excuses, via les prémisses de ses films, pour que ses personnages utilisent … autant de fois que possible dans un seul film. »
Les critiques doivent prendre du recul et se demander pourquoi des acteurs comme Jackson critiquent autant les acteurs britanniques noirs qui sont castés dans des films produits par des Noirs pour jouer des Noirs dans des récits dignes et héroïques, mais prennent la défense des cinéastes blancs qui ont également pris des libertés avec les faits historiques de l’esclavage dans leurs films.
Une wonder woman auto-émancipée
Tubman serait arrivée à St. Catharines en 1851. Elle a contribué à y établir une communauté noire, a participé activement à des organisations locales et était également membre de l’église épiscopale méthodiste africaine, Salem Chapel, située sur North Street, où elle résidait.
Lorsque Tubman arrive à St. Catharines dans le film, elle y est présente pendant environ 30 secondes de temps à l’écran, comme si son séjour au nord de la frontière était un blip dans son histoire alors qu’elle était, et reste, une partie de la mémoire historique de cette ville. Pour les Canadiens, cela devrait être la partie la plus décevante de Harriet.
Le film porte sur Harriet Tubman, une chercheuse de liberté noire et une wonder woman auto-émancipée. Il ne porte pas sur les chasseurs de primes noirs ou les esclavagistes blancs.
Nous devons encourager davantage de réalisatrices noires à faire le travail de centrer nos voix, et non de les démolir. Harriet a ses problèmes, sans aucun doute. Mais si la perfection est la barre à laquelle nous tenons les femmes noires cinéastes, malheureusement, moins de films sur nous seront faits.