Par le Dr Oliver Tearle
La fable anonyme ou le conte de fées des Trois petits cochons est l’un de ces contes anonymes classiques que nous entendons, et qu’on nous lit, lorsque nous sommes très jeunes. La fable contient de nombreuses caractéristiques communes associées au conte de fées, mais elle réserve quelques surprises lorsque l’on se plonge dans l’histoire de cette histoire bien connue. Commençons par un résumé du conte des Trois Petits Cochons avant de procéder à une analyse de sa signification et de ses origines.
D’abord, un bref résumé du conte tel qu’il est habituellement raconté. Une vieille truie a trois cochons, ses enfants chéris, mais elle ne peut pas subvenir à leurs besoins, alors elle les envoie dans le monde pour faire fortune. Le premier (et l’aîné) des cochons rencontre un homme portant une botte de paille et lui demande poliment s’il peut en avoir pour construire une maison. L’homme accepte et le cochon construit sa maison de paille. Mais un loup qui passe par là sent le cochon à l’intérieur de la maison.
Il frappe à la porte (comment peut-on » frapper » à une porte en paille est un détail que nous passerons sous silence pour l’instant), et dit : » Petit cochon ! Petit cochon ! Laisse-moi entrer ! Laisse-moi entrer !’
Le cochon peut voir les pattes du loup par le trou de la serrure (oui, il y a un trou de serrure dans cette porte en paille), alors il répond : ‘Non ! Non ! Non ! Par les poils de mon mentonny menton menton!’
Le loup montre les dents et dit : ‘Alors je soufflerai et je soufflerai et je ferai sauter votre maison.
Il fait ce qu’il a menacé de faire, fait exploser la maison et engloutit le cochon avant de se promener.
Le deuxième des trois petits cochons, pendant ce temps, a rencontré un homme avec un paquet de bâtons, et a eu la même idée que son (ancien) frère. L’homme lui donne les bâtons et il en fait une maison. Le loup passe par là, il sent le cochon dans sa maison en bois, il frappe à la porte (peut-on frapper à une porte en bois ?) et dit : « Petit cochon ! Petit cochon ! Laisse-moi entrer ! Laisse-moi entrer !’
Le cochon peut voir les oreilles du loup par le trou de la serrure (comment peut-on – oh, oublie ça), alors il répond :
Le loup montre les dents et dit : « Alors je soufflerai et je soufflerai et je ferai sauter votre maison ».
Il fait ce qu’il a menacé de faire, fait sauter la maison et dévore le cochon avant de continuer sa promenade.
Maintenant, le dernier des trois petits cochons – et le dernier survivant – avait rencontré un homme avec un tas de briques, et avait eu la même idée que ses anciens frères et sœurs, et l’homme lui avait gentiment donné les briques pour en façonner une maison. Maintenant, vous devinez où cela va nous mener.
Le loup passe, et voit la maison en briques, et sent le cochon à l’intérieur. Il frappe à la porte (pas de problème ici), et dit : « Petit cochon ! Petit cochon ! Laisse-moi entrer ! Laisse-moi entrer ! »
Le cochon peut voir les grands yeux du loup par le trou de la serrure, alors il répond : « Non ! Non ! Non ! Par les poils de mon menton ! »
Le loup montre les dents et dit : « Alors je soufflerai et je soufflerai et je ferai sauter ta maison. »
Alors le loup souffle et souffle et souffle et souffle et souffle et souffle et souffle et souffle et souffle jusqu’à ce qu’il n’ait plus de souffle. Et il n’a pas réussi à faire sauter la maison du cochon ! Il réfléchit un moment, puis dit au petit cochon qu’il connaît un champ où il y a de beaux navets à prendre. Il indique au cochon où se trouve le champ et dit qu’il passera à six heures le lendemain matin pour l’y emmener.
Mais le petit cochon est trop rusé, le lendemain matin il se lève à cinq heures, va au champ, déterre des navets et les ramène dans sa maison en briques. Lorsque le loup frappe à six heures, il est déjà en train de grignoter les navets. Il dit au loup qu’il a déjà été les chercher et les avoir. Le loup est ennuyé, mais il trouve un autre plan, et lui dit qu’il connaît des pommes juteuses sur un arbre dans un jardin voisin, et dit qu’il frappera pour le cochon le lendemain matin à cinq heures et lui montrera personnellement où elles sont.
Le petit cochon accepte, mais se lève le lendemain matin avant quatre heures, et va au jardin pour cueillir des pommes. Mais le loup s’est fait avoir une fois et n’est pas près de se faire avoir deux fois, alors il se dirige vers le pommier avant cinq heures et attrape le cochon en haut de l’arbre avec un panier de pommes. Le cochon parvient à s’échapper en lançant au loup une pomme à manger, mais en la lançant si loin que le temps que le loup aille la chercher et revienne, le petit cochon s’est échappé avec son panier et est rentré dans sa maison en briques.
Le loup essaie une dernière fois. Il invite le petit cochon à la foire avec lui le lendemain, et le cochon accepte ; mais il se rend à la foire très tôt, achète une baratte à beurre, et rentre chez lui quand il voit le grand méchant loup sur le sentier de la guerre, incandescent de rage d’avoir été contrecarré une troisième fois. Le cochon se cache alors dans la baratte à beurre et finit par dévaler la colline en direction du loup. Le cochon couine de peur en roulant, et le son du couinement et la vitesse de la baratte qui roule vers lui terrifient le loup, et il tire la queue et s’enfuit.
Le lendemain, le loup se présente à la maison du petit cochon, pour s’excuser de ne pas l’avoir accompagné à la foire la veille. Il raconte au cochon qu’une chose bruyante et effrayante dévalait une colline dans sa direction. Lorsque le cochon lui répond que c’était sûrement lui dans la baratte à beurre, le loup perd patience et grimpe sur le toit, bien décidé à descendre par la cheminée dans la maison du petit cochon et à le manger. Mais le cochon a une casserole d’eau qui bout sous la cheminée, et quand le loup descend dans la maison, il plonge directement dans l’eau bouillante. Le petit cochon met le couvercle sur la marmite et cuit le loup, puis le mange pour le souper !
Nous connaissons tous ces caractéristiques essentielles de l’histoire : les trois petits cochons, le grand méchant loup. Pourtant, aucun de ces éléments n’est une caractéristique essentielle de l’histoire, ou ne l’a pas été à un moment ou à un autre de l’histoire de la fable. Dans une version – la plus ancienne publiée, tirée de English Forests and Forest Trees, Historical, Legendary, and Descriptive (1853) – les petits cochons étaient en fait des petits lutins, et le loup était un renard ; les trois maisons étaient faites de bois, de pierre et de fer. Dans une autre version, le Grand Méchant Loup était en fait un Grand Gentil Loup. Dans au moins un récit, le cochon du milieu construit sa maison en furze (c’est-à-dire en ajoncs, une sorte d’arbuste) plutôt qu’en bâtons.
Comme l’observe le blog Writing in Margins, un article publié en 1877 dans Lippincott’s détaillant le folklore des Afro-Américains dans le sud des États-Unis décrit une histoire impliquant sept petits cochons, qui contient de nombreux détails que nous associons au conte des Trois Petits Cochons, y compris le final cheminée-pot à feu et le chinny-chin-chinning. Le recueil Nights with Uncle Remus (1883) de Joel Chandler Harris contient un conte similaire (avec six cochons au lieu de trois), ce qui suggère que le conte faisait partie du folklore afro-américain au XIXe siècle. Le conte était-il lié aux relations raciales aux États-Unis pendant la période antebellum (et immédiatement après la période postbellum) ?
Probablement, bien qu’il faille noter qu’il y avait également des versions italiennes du conte en circulation à la même époque (avec trois oies plutôt que trois cochons). La version anglaise définitive – avec toutes les caractéristiques de l’histoire décrites dans le résumé de l’intrigue ci-dessus – semble n’avoir fait ses débuts dans la presse qu’en 1886, dans le livre Nursery Rhymes of England de James Orchard Halliwell. Il s’agissait d’une sorte de version hybride des différentes versions de l’histoire en circulation, incorporant des aspects des versions italienne, afro-américaine et anglaise. Pour plus d’informations sur l’évolution de l’histoire, nous vous recommandons le billet Writing in Margins dont le lien figure ci-dessus. Parmi d’autres informations fascinantes, l’auteur suggère que la version « lutins » du conte est née d’une erreur d’interprétation du mot « pigsie » (cochon) en dialecte du Devon, qui a été remplacé par « pixie ». Il est certain qu’aucune autre version des Trois Petits Cochons ne contient de lutins, et que les lutins de l’histoire ne se comportent pas comme les lutins que l’on trouve dans d’autres histoires du folklore anglais.
1886 est plutôt tardif pour que le conte (tel que nous le connaissons maintenant) fasse ses débuts dans la presse. Il semble beaucoup plus ancien, notamment parce qu’il contient tant de caractéristiques que nous associons communément aux contes de fées et aux histoires pour enfants. En fait, on pense que l’histoire est considérablement plus ancienne et qu’elle a peut-être circulé oralement avant d’être finalement publiée dans des livres. Certes, malgré ces légères différences entre les versions disparates du conte, les éléments narratifs bruts sont ceux que nous avons l’habitude de trouver dans les contes de fées.
La règle de trois – un élément d’intrigue commun aux contes de fées classiques – est présente à plusieurs reprises dans la fable des Trois Petits Cochons. Il y a trois petits cochons ; il y a trois maisons ; le loup essaie de tromper le dernier des trois cochons à trois reprises. Dans chaque cas, c’est la troisième fois qui est décisive : les deux premiers cochons sont mangés, mais le troisième survit ; les deux premières maisons ne suffisent pas à résister au loup, mais la troisième y parvient ; et le troisième tour joué par le loup est sa perte ultime, car c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase (sans mauvais jeu de mots) et le fait passer à l’offensive, avec des conséquences dévastatrices (pour lui). Cela contribue à créer un sentiment de tension narrative, même si nous nous doutons que nous savons où le récit va nous mener. Et bien sûr, il y a une délicieuse ironie (délicieuse dans plus d’un sens) dans le fait que le cochon mange le loup à la fin de la fable, plutôt que l’inverse.
Mais si les fables sont censées avoir un message moral à transmettre, quel est le sens de la fable des Trois Petits Cochons ? En dernière analyse, il semble que l’ingéniosité courageuse et la planification minutieuse soient payantes et contribuent à nous protéger du danger. Il y a aussi un certain degré d’autosuffisance : la mère ne peut pas s’occuper des trois petits cochons, ils doivent donc se débrouiller seuls, sur leurs deux (ou quatre) pieds, et faire leur propre chemin dans le monde. (Il s’agit d’un autre procédé narratif populaire dans les contes de fées : le héros doit très tôt s’absenter de la maison et se lancer seul dans le monde). Bien sûr, le troisième petit cochon survit non seulement en se tenant sur ses pieds, mais aussi en pensant sur ses pieds : c’est sa vivacité d’esprit qui lui permet de se montrer plus malin que le loup, lui-même pas exactement un simplet, même s’il n’est pas la paille la plus pointue de la botte de foin.
L’auteur de cet article, le Dr Oliver Tearle, est critique littéraire et maître de conférences en anglais à l’université de Loughborough. Il est l’auteur, entre autres, de The Secret Library : A Book-Lovers’ Journey Through Curiosities of History et The Great War, The Waste Land and the Modernist Long Poem.
Image : via Wikimedia Commons.