DISCUSSION

Après une thérapie par amiloride et tobramycine nébulisée, les cultures d’expectoration étaient négatives pour le complexe B. cepacia chez trois des quatre patients FK traités. Ceci suggère que le traitement prolongé par aérosol amiloride/tobramycine peut supprimer ou potentiellement éradiquer le complexe B. cepacia, au moins dans certains cas. Cependant, un certain nombre de questions importantes doivent être abordées. Tout d’abord, les définitions de la colonisation et de l’éradication ne font pas l’unanimité. Le nombre de cultures d’expectoration positives nécessaires pour considérer un patient comme colonisé et le nombre de cultures d’expectoration négatives ultérieures nécessaires pour classer un organisme comme éradiqué restent à déterminer. Tant qu’il n’y aura pas de consensus, l’histoire naturelle de la colonisation/infection par B. cepacia après l’isolement initial sera difficile à déterminer. Dans une vaste étude rétrospective portant sur environ 450 patients atteints de FK en Colombie-Britannique (Canada) sur une période de 17 ans, le complexe B. cepacia a été isolé chez 62 patients 9. En utilisant une définition de la colonisation comme une culture d’expectoration positive et de l’éradication comme trois cultures négatives consécutives, neuf des 46 patients infectés par le génomovar III ont été considérés comme « transitoires ». Plus récemment, Jones et al. 10 ont effectué une analyse rétrospective du Manchester Adult Cystic Fibrosis Centre (Royaume-Uni). En utilisant les définitions d’une culture positive comme colonisation et de trois cultures négatives consécutives sur au moins 12 mois comme éradication, ils ont rapporté une résolution spontanée fréquente (∼50%) de l’infection/colonisation par Burkholderia multivorans (génomovar II) sans traitement spécifique. Il n’y avait que de rares cas de résolution spontanée avec B. cenocepacia (génomovar III), mais aucun cas d’infection avec B. ambifaria n’a été rapporté 10. Dans l’étude actuelle, des définitions légèrement plus strictes ont été utilisées ; la colonisation comme ≥3 cultures d’expectoration positives sur au moins 1 mois et l’éradication comme ≥5 cultures d’expectoration négatives sur au moins 3 mois. En utilisant ces définitions, trois des quatre patients de l’étude actuelle ont éradiqué le complexe B. cepacia, mais il convient de noter que dans cette étude pilote, il n’y avait pas de groupe témoin, de sorte qu’on peut faire valoir que l’infection/colonisation aurait pu se résoudre spontanément.

Il est possible que les cultures d’expectoration négatives dans l’étude actuelle représentent une suppression, plutôt qu’une véritable éradication de l’organisme, seuls d’autres prélèvements d’expectoration répétés au cours des prochaines années confirmeront l’éradication. Lipuma et al. 11 ont décrit un cas où neuf cultures d’expectoration bimensuelles étaient négatives pour le complexe B. cepacia avant une culture positive à 24 mois. Dans l’étude actuelle, plusieurs cultures d’expectoration dans les cas 1 et 2 sont restées négatives pendant au moins 2 ans après le traitement. Dans le cas 3, 30 cultures d’expectorations collectées sur 2 ans sont toutes restées négatives et même avec une immunosuppression après une transplantation hépatique, le B. ambifaria n’a toujours pas été isolé. Enfin, bien que les isolats du complexe B. cepacia dans cette étude étaient résistants à la tobramycine et à d’autres antibiotiques (testés individuellement), le rôle des antibiotiques intraveineux concomitants administrés dans le cas 3 contre le B. ambifaria n’est pas connu.

Le mécanisme de la synergie in vivo entre l’amiloride et la tobramycine contre B. cepacia n’est pas connu. Les premiers travaux de Cohn et al. 12 ont démontré une synergie entre l’amiloride et la tobramycine in vitro, avec des effets plus importants de certains analogues de l’amiloride. Plus récemment, différents composés aminés substitués ont démontré une synergie avec la tobramycine contre un certain nombre d’isolats de B. cepacia 13. Ceci suggère que le groupe amine de l’amiloride est important dans la synergie observée avec la tobramycine. Cohn et al. 14 ont également démontré que des concentrations élevées de sel dans le milieu de croissance diminuaient l’effet antibactérien de la tobramycine contre B. cepacia, un effet qui a été évité par un prétraitement à l’amiloride. Dans l’ensemble, il semble probable que l’amiloride, peut-être par le biais de sa fraction amine, modifie directement la B. cepacia, interférant avec le(s) mécanisme(s) utilisé(s) pour protéger la bactérie des aminoglycosides. Il est intéressant de noter que les expectorations de la FK présentent des concentrations accrues d’ammonium qui diminuent après une antibiothérapie 15, bien que l’on ne sache pas si cela joue un rôle dans la synergie entre l’amiloride et la tobramycine. Les auteurs actuels ont déjà démontré un lien entre les antibiotiques et le transport ionique, car un antibiotique différent, le triméthoprime, bloque le transport épithélial du sodium 16, mais l’implication du transport du sodium dans la destruction des bactéries par la tobramycine ou par les combinaisons soufre/triméthoprime n’est pas claire. Comme l’activité antimicrobienne de l’amiloride seul est très faible 12, il est peu probable qu’il soit impliqué dans la synergie amiloride/tobramycine observée dans l’étude actuelle.

Une autre explication pourrait être que l’amiloride altère le transport ionique des voies aériennes plutôt que le transport ionique bactérien. Cela peut induire un changement subtil du liquide de surface des voies aériennes, qui améliore l’effet bactéricide de la tobramycine ou potentiellement les mécanismes de défense pulmonaire innée. Comme la concentration d’amiloride après nébulisation a été estimée à ∼0,1 mM 3, le transport ionique des voies aériennes a pu être modifié dans l’étude actuelle, des études supplémentaires sont donc nécessaires pour déterminer le(s) mécanisme(s) probable(s) de synergie entre l’amiloride et la tobramycine in vivo. Des essais contrôlés de cette nouvelle stratégie thérapeutique sont également nécessaires dans un plus grand groupe de sujets, en particulier ceux présentant une infection chronique du complexe Burkholderia cepacia.

En conclusion, cette étude pilote suggère que les aérosols d’amiloride/tobramycine peuvent réduire le taux d’infection chronique après l’isolement initial du complexe Burkholderia cepacia dans les voies respiratoires de la mucoviscidose, et si cela est confirmé, cela aura des ramifications thérapeutiques importantes pour les soins de la mucoviscidose. L’association d’antibiotiques et d’agents de canaux ioniques pourrait également s’avérer utile dans le traitement d’autres bactéries multirésistantes.

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